Le plôt, projet transfrontalier

Pour les habitants de Lille, la frontière avec la Belgique est poreuse dès lors qu’il s’agit d’aller acheter des cigarettes, boire une bière ou manger une frite-fricandelle. Pourquoi pas pour le cirque, alors ? Ainsi est né le Plôt, (Pôle cirque transfrontalier Lille/ Tournai), entre le Prato de Lille et la Maison de la Culture de Tournai.

Le credo : faire circuler les artistes, les œuvres et les publics, avec en arrière plan l’idée de casser l’image de frontières étanches. Depuis les premières briques - bus affrétés de part et d’autre pour confronter les publics à d’autres démarches, festival exporté à Tournai à la faveur de travaux au Prato -, le projet est devenu un vaste édifice made in Europe, à cheval entre la France et la Belgique.

26.11.2009

Julie Bordenave

le Prato

Pourquoi ? Parce-que.

D’un côté, Le Prato à Lille, tenu par un clown directeur (Gilles Defacque), officiellement labellisé « scène conventionnée pour les arts du Burlesque », gaillardement proclamé « théâtre international de quartier » dans les années 80. De l’autre, la Maison de la Culture de Tournai, l’un des plus gros centres culturels de la communauté française de Belgique, avec une programmation pluridisciplinaire. Pour la France, ce serait l’équivalent d’une scène nationale (pour le format de ses salles – 850 et 400 places) et d’une MJC (pour ses ateliers socioculturels, ses missions sur l’éducation populaire). Entre les deux structures, 26 km. Et un intérêt pour le cirque mêlé de théâtre, historiquement obsessionnel côté Prato, lentement couvé pour la Maison de la Culture, dès lors qu’Annie Fratellini est venue y donner un stage de cirque dans les années 70.

Comment ? Comme ça.

Tout commence par des actes de programmations « classiques ». Avec sa compagnie Le Prato, Gilles Defacque est invité à montrer ses spectacles à la Maison de la Culture. Et puis en 1998, son directeur, Philippe Deman, décide d’avancer sur le cirque contemporain. Dans le même temps le Prato organise son 15ème festival Au Rayon Burlesque pour la 1ère fois sous chapiteau. Gilles Defacque et Patricia Kapusta, sa compagne et néanmoins collaboratrice (aujourd’hui secrétaire générale du Prato), sont alors sollicités.

Patricia Kapusta : « nous étions intervenants dans les écoles nationales de cirque de Rosny-sous-Bois et Châlons-en-Champagne. Lui était directeur d’une maison de la culture, et directeur d’un festival, La Piste aux Espoirs, constitué notamment d’un concours pour amateurs. Quand il a voulu donner une dimension professionnelle à ce festival, nous étions en quelque sorte les garants extérieurs « d’un autre cirque » à la française. Et nous, on pouvait rêver grâce à Tournai des rendez-vous d’envergure en dehors d’un temps de festival dans une salle plus importante. On offrait alors plus de spectacles de cirque en se mettant à deux ! Et dans le même temps on accompagnait, on suivait, le mouvement du nouveau cirque ».

Et après ?

Les obstacles existent (les deux lieux n’ont pas les mêmes tarifs, pas les mêmes fonctionnements, pas les mêmes aboutissements), mais la collaboration enclenchée se poursuit naturellement par voie routière. Des bus sont affrétés de part et d’autre. Difficile ensuite, de retracer une collaboration qui se construit au jour le jour et au cas par cas. Mais les deux structures joignent leurs forces sur des événements ponctuels, s’engagent ensemble auprès d’artistes, pour des résidences ou une diffusion concertée….

« Aujourd’hui, le projet s’inscrit dans un contexte européen, avec des financements qui permettent d’aller plus loin dans le partenariat, de créer plus de projets, de travailler sur des opérations plus importantes », résume Géraldine Elie. Missionnée par Tournai sur ce partenariat particulier - après avoir partagé son temps entre les deux maisons -, Géraldine doit son emploi aux programmes européens transfrontaliers, qui portent le doux nom « d’interreg ». Des dispositifs sur 4/5 ans, destinés à deux régions qui travaillent à effacer les frontières, sachant que pour chaque somme donnée par l’Europe, les intéressés doivent engager une somme équivalente. En 2003, un premier projet « Circulons ! », déposé par Lille et Tournai, est qualifié Intereg III.

Et aujourd’hui, le Pôle cirque Transfrontalier Lille Tournai (Plôt pour les intimes) s’inscrit dans le cadre d’Interreg IV, qui court de début 2008 à fin 2011. Les dispositifs sont complexes et tracassiers, avec bilans semestriels annuels et objectifs à remplir. Mais Le Prato et la Maison de la Culture s’y résolvent (« c’est normal, c’est de l’argent public » !), et y trouvent visiblement leur compte.

Et maintenant ?

Géraldine Elie : « Avec le Plôt, on s’implique à deux sur un accompagnement artistique. Il y a des projets d’accompagnement de part et d’autre, qui sont accueillis en diffusion de l’un ou de l’autre côté, parfois des deux (côtés). Avec des tas de formules différentes. Parfois on affrète des bus, parfois pas. Parfois on organise une mise en vente de billets à Lille pour un spectacle qui aura lieu à Tournai (et vice-versa), mais ce n’est pas forcé non plus. Il est arrivé qu’on co-réalise des spectacles, comme Secret (de Johann Le Guillerm) à Tournai, qui a été possible uniquement parce que le Prato garantissait un certain nombre de spectateurs. Au final, ce ne sont plus des spectateurs de Tournai ou de Lille, ce sont des spectateurs du Plôt. Mais, attention, le dispositif ne permet pas seulement de programmer plus de spectacles. Il permet aussi de monter des temps forts ensemble. Par exemple, pendant le mois de l’inauguration du Plôt, le Prato a fait des propositions de spectacles à Tournai. De la même manière, pour le festival La Piste aux Espoirs, début mars à Tournai, certains spectacles ont été programmés au Prato. Et l’an prochain, on met au monde un petit enfant : « Curiosités circassiennes », avec un spectacle à Tournai, un spectacle au Prato, un bus entre les deux et un tarif groupé pour l’achat de deux billets ».

Patricia Kapusta : « On ose davantage parce qu’on a des garanties de public. Quand une structure invite un spectacle en prenant d’énormes risques financiers, l’autre va garantir par exemple 200 places à 15 euros alors qu’elle les vend à 12. Ensuite, il y a des avantages pour les abonnés de la Maison de la Culture au Prato et vice-versa. Les engagements varient selon les spectacles. Mais en tous cas, avec l’Europe, nous sommes trois à prendre le risque. Il y a les coups de cœur communs, mais aussi des spectacles, qu’on n’aurait peut-être pas montrés, mais qu’on propose à nos spectateurs. En fait, nous sommes complémentaires et c’est ce qui est un élément de la réussite de ce couple peu ordinaire. Le Prato a apporté le champ clownesque à la Maison de la Culture, eux une certaine audace pour les grandes formes et une pratique des programmes européens (la Maison de la Culture en mène également avec d’autres structures sur le théâtre et la musique). Nous sommes une petite équipe, polyvalents, nous envisageons les actions, la programmation, les tournées globalement, tandis que dans la grande Maison de la Culture les champs sont sectorisés. On se frotte là-dessus et c’est bien. Et puis, chacun avance dans son rapport aux institutions de son pays en comparant ses pratiques, ses dispositifs. On explore d’autres manières de faire notre métier ».

Mais encore ?

Géraldine Elie : « Sur la plaquette de la Maison de la Culture, comme sur celle du Prato, nous annonçons les spectacles de l’autre, sans préciser si ça se passe ailleurs. Nous semons un peu la confusion, pour que les gens choisissent leur spectacle en fonction de ce qui les attire, et pas en fonction du lieu. Nous sommes engagés sur une forme de tronc commun qui fait que l’identité des structures passe après. Nous ne sommes pas seulement dans une opportunité de territoire, et une opportunité européenne, mais dans une logique de coopération ».

Patricia Kapusta : « Avec le Plôt, aujourd’hui on s’ouvre mieux aux artistes belges qui étaient quelque peu complexés, à la création belge et internationale. Ce week-end, par exemple, on a vu des Australiens vraiment étonnants dans un festival en Belgique. Ensemble, on peut envisager de s’engager. Et l’idée de remettre du doute dans le cirque « à la française », ça nous plaît bien… ».

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